L'infiltration

Les grandes entreprises de logiciels et services informatiques infiltrent de plus en plus les écoles… Depuis des mois, des années les offres n’ont cessé de se multiplier. Microsoft offre l’accès à Office 365, Google à ses Google Apps « for education » et la plupart du temps gratuitement.

Combien de projets de iPad et non de « tablettes » avons-nous déjà vu dans les écoles pour les plus jeunes, parfois annoncés en fanfare lors d’un reportage à la télé? Tout cela présenté comme une grande avancée technologique.

D’une certaine façon il est étonnant de constater que les chefs d’établissements scolaires tombent dans le panneau aussi facilement. La gratuité a un prix. C’est l’endoctrinement de nos enfants et la volonté de créer une dépendance aux divers produits commerciaux. Un élève qui utilise du Microsoft, Apple, Google ou tout autre produit commercial similaire tout au long de son cursus verra cela comme la norme, sans trop se poser de question. Ils sont les travailleurs et consommateurs de demain.

N’est-ce pas le rôle des professeurs ou des chefs d’établissements scolaires d’ouvrir les yeux des étudiants, de leurs apprendre l’esprit critique, le libre examen et surtout l’éthique ?

Serait-il acceptable d’apprendre à conduire du VW exclusivement à l’auto-école ? Non. Le but est d’apprendre à conduire une voiture quel que soit son constructeur. C’est la même chose pour les logiciels. Il ne faut pas apprendre à utiliser Microsoft Word mais à se servir d’un traitement de texte.

Pour les plates-formes en ligne comme Office 365 ou Google Apps il est également sage de se poser la question sur la confidentialité des données. N’est-ce pas un comble que de mettre entre les mains de ces multi-nationales nos fichiers, nos emails, nos données, une grande partie de notre vie privée ? Qu’il s’agisse de vos données personnelles, de celles de l’entreprise ou de l’administration pour laquelle vous travaillez le problème reste le même. Ces données sont les vôtres et celles de personne d’autre. Il n’est pas logique qu’elles soit analysées et exploitées à des fins de marketing ou pour connaître les tendances du marché… Dans cet univers de gratuité c’est nous qui devenons le produit.

Les logiciels propriétaires dits « privateurs » utilisent des formats fermés pour se rendre indispensables et compliquer un éventuel changement de produit. Et c’est là que se situe la stratégie des développeurs de logiciels propriétaires. Comme les dealers avec l’héroïne ces sociétés donnent gratuitement la première dose à nos enfants avec le soutien des établissements scolaires. Les chefs d’établissements acceptent cela plus par naïveté et ignorance que par malveillance. Injustement ils deviennent « vendeurs » de ces solutions logicielles . Et c’est bien cela qui arrive : à la maison les parents vont s’équiper de matériel et logiciels similaires. Ce désastre intellectuel est intelligemment mis en place à l’aide des « cadeaux » qu’offrent les sociétés de logiciels privateurs.

Windows et MacOS ne sont plus les seuls systèmes d’exploitation utilisables aujourd’hui. Microsoft Office n’est pas non plus la seule suite bureautique. Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens il existe de nombreux logiciels libres faciles à installer et à utiliser. C'est la cas dans tous les domaines quels qu'ils soient: graphisme, musique, développement, logiciels éducatifs, même des jeux.

Beaucoup de logiciels libres peuvent même ouvrir des fichiers aux formats propriétaires (formats MS-Office, MP3, etc).

Du côté des logiciels hébergés « cloud » il existe aussi de nombreuses solutions libres dont les rouages internes sont rendus public par la publication des codes sources, mettant les développeurs dans l’impossibilité d’y cacher des logiciels espions ou autres fonctionnalités douteuses. Héberger soit-même sa plate-forme informatique est dès lors possible. Il ne faut oublier que le Cloud n’existe pas. Il s’agit en réalité de l’ordinateur de quelqu’un d’autre.

Les logiciels privateurs vont contre l’esprit de partage. Chacun doit acheter sa copie. Interdiction d’en faire profiter un camarade de classe. Ce serait du piratage. Il faut aussi disposer d'un ordinateur compatible, du système d’exploitation qui va avec, tout cela agrémenté d’une obsolescence programmée pour forcer l’usager à remettre la main au porte-feuille régulièrement.

D’une point de vue plus technique avoir accès au code source d’un programme permet de l’étudier, de l’améliorer, de l’adapter. N’est-ce pas un droit que de savoir ce que font réellement nos ordinateurs ?

Beaucoup de professeurs confondent informatique et bureautique.

Utiliser une suite bureautique ce n’est pas faire de l’informatique.

Pour citer Dijkstra l’informatique n’est pas plus la science des ordinateurs que l’astronomie n’est la science des télescopes. L’ordinateur n’est qu’un outil.

C’est là que de vrais notions d’informatiques pourraient faire la différence. L’initiation à la programmation rendu très simple même pour les plus jeunes avec des outils comme « Scratch » permettrait à chacun de se faire une idée de ce qui se passe en interne dans nos machines.

Pour les codes sources ouverts les « non-programmeurs » n’y verront pas un avantage immédiat. Ils se trompent. Lorsque le code source est libre et publié c’est toute la communauté qui aura une vue dessus. Les logiciels ainsi développés font exactement ce pourquoi ils sont prévus. Leur pérennité est aussi assurée. Il est toujours possible pour un autre développeur de reprendre le flambeau ou simplement d’améliorer le programme. Par la suite c’est l’ensemble des usagers qui en profiteront.

Lorsque les codes sources sont détenus égoïstement par une société de logiciels privateurs c’est l’ensemble des utilisateurs qui en souffre. C’est pour cela qu’ils sont dits privateurs car ils privent les utilisateurs de libertés fondamentales.

L’aspect gratuit de la plupart des logiciels libres est très souvent mis en avant. D’une certaine façon ce n’est que secondaire pour toutes les raisons déjà évoquées. Évidemment cela reste un critère important pour les écoles qui n’ont pas beaucoup, surtout pas assez de moyens mais aussi pour les services publics qui dépensent l’argent du citoyen. Il vaut mieux utiliser l’argent pour des missions plus importantes, plus critiques que l’achat de logiciels.

Les usagers confondent fréquemment libre et gratuit (comme les freewares). Un logiciel peut être gratuit sans être libre ! Ce n’est pas du tout la même chose. Même gratuit un logiciel peut être contraignant au niveau de sa licence d’utilisation, cacher des choses par l’absence de codes sources ouverts ou même discriminatoire. Les antivirus gratuits sont un bon exemple. La plupart cherchent à faire acheter une version « premium » en harcelant l’utilisateur, en ayant des fonctionnalités plus limitées que la version payante ou encore ne sont gratuits que pour un usage privé, etc.

Il est étonnant de voir l’usage massif des logiciels privateurs par les services publics et administrations. Ils imposent bien souvent au citoyen l’utilisation de logiciels privateurs pour accéder à l’information. Des sociétés privées (et il n’en reste pas beaucoup!) se sont spécialisées dans le développement et surtout la vente de logiciels aux administrations, tous privateurs bien-sûr. L’État n’est même plus maître de ses propres données. Il n’hésite pas à confier aveuglément ses données, sans aucun contrôle ni garantie. Il faudrait héberger tout cela en interne, sur des plate-formes dédiées et sécurisées.

Combien de fois dans votre vie avez-vous reçu des fichiers Microsoft Word plutôt qu’un fichier PDF ou OpenDocument ? Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Que deviendront toutes ces données plus tard, après nous ? L’utilisation de formats ouverts et indépendants seraient la solution.

On pourrait aussi se poser la question sur la gratuité de la quasi totalité des logiciels libres. Il y a de nombreux modèles économiques qui existent en se faisant rémunérer sur les services, le déploiement, l’adaptation ou encore les donations. Bien souvent c’est l’œuvre de passionnés qui préfèrent partager leurs travail et profiter aussi d’améliorations ou de contributions de la communauté. Les logiciels libres ne sont pas incompatibles avec rentabilité. Au moins, dans ce cas, le sentiment de financer quelque chose de plus juste et un vrai travail chiffrable y est, beaucoup plus que dans l’achat d’une licence de logiciel privateur.

Pour conclure, je ne lance pas ici une croisade contre tous les logiciels privateurs et les multi-nationales. J’espère juste que de plus en plus de personnes verront plus clair, surtout dans le milieu de l’enseignement ainsi que nos politiques. On laissera à décharge le côté nouveau de ces technologies et le temps d’adaptation et compréhension de celles-ci.

Lorsque Coca-Cola présente ses produits dans un décor merveilleux avec de petits bonhommes qui rient et chantent il faut imaginer les chiffres financiers, l’impact éventuel sur la santé et bien d’autres choses. L’aspect bling-bling n’est pas forcément gage de qualité. Les logiciels libres n’ont certes pas les mêmes moyens pour la pub ou le marketing mais la qualité y est, sans arnaque, sans contre-partie.